Le matin était froid, gris, humide, à l'opposé de l'image qu'on se fait du printemps. Quand la porte de la bibliothèque s'ouvrait sur un improbable lecteur, il apportait avec lui la brise fraîche du dehors qui faisait frissonner tous les occupants de la salle.
Lou poussa doucement la porte massive, pas mécontente d'échapper à la fine pluie du dehors. Elle prit le temps de s'abandonner à la chaleur rassurante de l'endroit.
Elle resta sur place cinq bonnes minutes, sans bouger.
Les bibliothèques... C'était le silence total, solennel, aux vagues consonnances studieuses. Il n'y a jamais grand monde dans ce genre d'établissements mais à ces heures matinales, c'était presque le désert. Des milliers de livres maintes fois pris et repris pour une raison ou une autre, par des inconnus qui le resteront à jamais, reposaient sur leurs étagères en attendant qu'on les utilise à nouveau. Il y avait là une vieille femme qui, penchée sur un gros bouquin, déchiffrait de toute la force de ses lunettes les petits caractères de l'ouvrage, et aussi un étudiant, et peut-être d'autres.
Les bibliothèques... Depuis combien de temps n'en avait-elle pas visité une ? Et pourtant, la lecture avait toujours été son hobby... après le dessin. Lou avait lu plus de cinquante fois certains livres et maintenant encore, après tant d'années, des bribes de dialogues, de descriptions trottaient dans sa tête.
Les livres ! Avant, quand elle entrait dans une bibliothèque, elle fonçait droit vers les bandes dessinées et les romans qu'elle dévorait l'un et l'autre en un temps record. Et ça lui brisait le coeur de devoir les remettre à leur place.
Depuis combien de temps n'avait-elle pas ouvert un livre ?
Ces dernières années, les rêveries avaient remplacé cette passion. Les heures qu'elle passait à compulser ses bouquins, elle les occupait maintenant à s'abandonner entre veille et sommeil, dans la sécurité réconfortante de son lit où il ne pouvait rien se passer de grave, où elle s'oubliait.
Machinalement, elle se dirigea vers une étagère, tendit une main hésitante vers ces tranches tentatrices. Elle allait presque se saisir d'un roman quand soudain, ses peurs la reprirent. Elle tira une lingette de la poche de son manteau et, sous le regard désapprobateur de la bibliothécaire, le passa sur le bois et les couvertures des livres, le changea lorsqu'il fut sale. Quelques personnes se mirent à murmurer, sans cacher leur stupéfaction mêlée d'animosité, mais elle ne le devina même pas.